Lettre ouverte CEP-Enfance – Emmanuel Macron

Le CEP-Enfance s’adresse à Emmanuel Macron, suite à la présentation de sa stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté le 13 septembre dernier.

Paris, le 20 septembre 2018
Monsieur le Président,
Vous avez présenté votre stratégie de prévention et de lutte contre la
pauvreté le 13 septembre dernier.
Nous vous adressons ci-joint, au titre du Collectif « Construire Ensemble la
Politique de l’Enfance » (CEP-Enfance), une lettre ouverte au sujet des
mesures de cette politique concernant les enfants et les jeunes.
Nous sollicitons de votre bienveillance une entrevue pour partager avec vous
les enjeux et nos propositions à hauteur de la grande ambition que vous
avez énoncée, et que nous partageons.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République,
l’expression de notre très haute considération.
Pour le collectif national
CEPE – Construire Ensemble la Politique de l’Enfance
Dominique TERRES
CEPE – Construire Ensemble la Politique de l’Enfance
20 rue des Martyrs – 75009 Paris
cep.enfance@gmail.com
cep-enfance.blogspot.comStratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté :
apporter des réponses à la hauteur de l’ambition !
Lettre ouverte au Président de la République
Monsieur le Président,
En présentant la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté vous avez indiqué une
direction ambitieuse : « refonder un Etat providence contemporain (…) qui garantisse à chacun ses
droits, cette place, cette émancipation, cette dignité ». C’est à cette aune que le Collectif « Construire
Ensemble la Politique de l’Enfance » (CEP-Enfance) s’adresse à vous au sujet des mesures de cette
stratégie touchant à l’enfance et à la jeunesse.
Il faut saluer l’attention portée à la petite enfance et aux modes d’accueil. Cependant est-on à la
hauteur de l’ambition avec la création de 30 000 places d’accueil collectif sur les quatre prochaines
années, alors que le peu de créations de places sur la période précédente (32 000) a été
unanimement déploré ? Est-on à la hauteur avec un « bonus territoire » consacré à l’investissement
sachant que la difficulté pour les gestionnaires notamment les communes réside bien plus dans la
dépense de fonctionnement ? Et si la COG entre l’Etat et la CNAF prévoit également un « bonus
mixité sociale », le nombre d’enfants concernés sera forcément limité puisque le taux d’augmentation
prévu, du fonds national d’action sociale ne dépasse pas celui de l’inflation…
S’il faut également saluer la généralisation du tiers-payant pour le recours à une assistante
maternelle, la stratégie pauvreté est muette sur la question essentielle du différentiel de reste à
charge pour les familles qui demeure extrêmement défavorable pour celles aux revenus modestes.
Plus généralement il est à regretter que vous n’ayez pas répondu favorablement à la proposition du
CEP-Enfance 1 qui, tout comme d’autres organisations, recommandait d’étendre le principe de
gratuité dès la prime enfance, en commençant par les enfants dont les familles vivent sous le seuil
de pauvreté, afin de rendre l’accès aux modes d’accueil possible pour tous comme c’est le cas à
l’école maternelle.
Le projet d’un plan de formation pour 600 000 professionnels de la petite enfance est une mesure
bénéfique qui jouera pleinement son rôle si leur niveau de formation et leur qualification initiale
sont également tirés vers le haut. Sans oublier que la volonté de réduire les inégalités dès la petite
enfance et de favoriser l’épanouissement de l’enfant nécessite d’aborder son développement dans
toutes ses composantes, au lieu de cibler telle ou telle capacité particulière : sachant que ces
diverses composantes, physiques, cognitives, langagières, affectives et sociales se renforcent les
unes les autres. Ici réside l’enjeu d’une formation initiale et continue de qualité pour les
professionnels de la petite enfance.
L’obligation scolaire dès 3 ans doit être assortie d’un effectif et d’un encadrement par classe en
continuité avec ces exigences de qualité pour de jeunes enfants. Le dédoublement des classes de CP
et CE1 représente dans ce sens un progrès. Il faut cependant veiller à ce que cela ne conduise pas à
restreindre d’autres dispositifs d’aide indispensables aux enfants qui rencontrent des difficultés
d’apprentissage, par exemple les RASED qui continuent d’être démantelés…
1
Cf. lettre ouverte du 5 juillet 2018 : https://drive.google.com/file/d/1ceV6mR9eZC7Di6nEBEflAkCxtQFFrV9s/viewAu-delà des dédoublements de CP-CE1, l’absence d’autres dispositions à l’égard des enfants de 6 à
11 ans témoigne d’une attention encore insuffisante aux effets de la pauvreté sur leurs parcours de
vie. Alors qu’a minima des mesures comme la gratuité des temps périscolaires et des séjours de
vacances collectifs pour ceux dont les familles vivent sous le seuil de pauvreté auraient pu être
envisagées. De même l’absence de solutions d’accueil entre 6 et 11 ans pour des enfants dont les
parents travaillent en horaires atypiques n’aurait-elle pas dû faire l’objet de propositions pour y
remédier, en commençant là encore par les milieux les plus touchés par la pauvreté ?
S’agissant des droits fondamentaux des enfants, la stratégie prévoit des mesures en faveur d’une
« alimentation équilibrée pour tous ». Si on peut imaginer que derrière cette intention, c’est un repas
sain, avec des produits prioritairement locaux (et/ou bio) qui est préconisé, pourquoi s’arrêter en
chemin avec « la cantine à un euro » et ne pas instituer, comme le CEP-Enfance vous l’avait
également demandé, la gratuité de la cantine en premier lieu pour les enfants dont les familles
vivent sous le seuil de pauvreté ? De même, s’il est louable de vouloir « renforcer la prévention des
expulsions », pourquoi ne pas aller jusqu’à interdire celles des familles avec enfants, tant qu’une
solution alternative de logement, adaptée et durable, n’est pas assurée ?
Enfin, tout en sachant que le gouvernement agit dans le domaine de l’accès à des pratiques
artistiques et culturelles vivantes ou dans celui de la lutte contre les effets des désordres
environnementaux sur la santé, nous regrettons vivement que de tels enjeux, si fondamentaux pour
l’épanouissement de tous les enfants, et tout particulièrement dans la lutte contre la pauvreté, ne
soient même pas mentionnés au titre de la stratégie que vous y consacrez. Celle-ci est muette encore,
sur la situation des enfants placés en centre de rétention avec leur famille, alors même que ces
enfants sont également majoritairement concernés par les situations de précarité et de pauvreté.
Nous réitérons auprès de vous notre demande instante et solennelle de mettre fin au placement des
enfants et de leur famille ou de mineurs non accompagnés dans les centres de rétention, atteinte
particulièrement grave au respect par la France de la Convention Internationale des Droits de
l’Enfant.
Concernant l’extension de l’obligation de formation jusqu’à 18 ans, et l’accompagnement des jeunes
dans leur processus d’orientation, nous rappelons que chaque adolescent, dans le respect de son
développement et de sa construction, doit être en mesure de bâtir son orientation, accompagné de
centres d’information et d’orientation confirmés dans leur existence et leurs missions.
Nous saluons le projet d’établir une contractualisation entre l’Etat et les départements pour que tous
les jeunes majeurs de 18 à 21 ans, pris en charge avant leur majorité par les services de l’Aide
sociale à l’enfance, continuent de bénéficier d’un accompagnement rapproché de la part de ce
service. Ceci appelle également une implication de l’Etat dans le renforcement général des services
de l’ASE, aujourd’hui en grandes difficultés pour assurer leurs missions dans de nombreux
départements.
Plus généralement, nous nous interrogeons, avec de nombreux acteurs impliqués dans la lutte contre
la pauvreté, sur l’ampleur des moyens nouveaux que, sans remettre en cause l’universalité du
système de protection sociale, votre gouvernement consacrera à cette stratégie de prévention et de
lutte contre la pauvreté, notamment à son volet consacré à la petite enfance, à l’enfance et à la
jeunesse. Si nous nous réjouissons des premières annonces de financement, celles-ci nous paraissent
loin de l’objectif « d’éradiquer la pauvreté », même à l’horizon d’une, voire de plusieurs générations.
Nous vous demandons, ainsi qu’à votre gouvernement, d’apporter, au-delà des premières annonces,
les réponses notamment juridiques, techniques et financières à hauteur de la grande ambition que
vous avez énoncée, et que nous partageons.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.